9 août 2008

Quels sont mes droits essentiels ?

  • Avant toute chose, tu devrais avoir le droit d'être engendré par un père et une mère qui s'aiment, au cours d'un acte sexuel couronné par un orgasme mutuel, afin que ton âme et ta chair prennent racine dans le plaisir.
  • Tu devrais avoir le droit de n'être ni un accident ni une charge, mais un individu attendu et désiré de toute la force de l'amour, comme un fruit qui donne du sens au couple, lequel devient désormais une famille.
  • Tu devrais avoir le droit de naître avec la sexe que la nature t'a donné. Tu devrais avoir le droit d'être pris en compte dès le premier mois de ta gestation. A tout instant la femme enceinte devrait accepter le fait qu'elle est deux organismes en voie de séparation et non un seul qui s'étend.
  • Personne ne peut t'accuser des accidents pouvant survenir pendant l'accouchement. Ce qui t'arrive dans la matrice n'est jamais ta faute: par ressentiment contre la vie, la mère ne veut pas accoucher et, à travers son inconscient, t'enroule le cordon ombilical autour du cou et t'expulse, incomplet, avant terme. Comme on ne veut pas te mettre au monde, parce que tu es déjà un tentacule de pouvoir, on te retient plus de neuf mois, tandis que le liquide amniotique sèche et que ta peau se brûle; on te fait tourner jusqu'à ce que tes pieds, et non ta tête, entament le glissement vers la vulve, comme les morts vont à la niche, les pieds devant; on te gave plus qu'il ne faut pour que tu ne puisses pas passer par le vagin, la naissance heureuse étant remplacée par une froide césarienne, qui n'est pas un accouchement mais l'extirpation d'une tumeur. Refusant d'assumer la création, on ne collabore pas avec tes efforts et sollicite l'aide d'un médecin qui t'opprime le cerveau avec ses forceps; souffrant d'une névrose de l'échec, on te fait naître à moitié étouffé, tout bleui, t'obligeant à imiter la mort émotionnelle ce ceux qui t'ont engendré...
  • Tu devrais avoir le droit à une profonde collaboration: l'envie d'enfanter de la mère doit être aussi grande que l'envie de naître du bébé, fille ou garçon. L'effort sera mutuel et bien équilibré. A partir du moment où cet univers te produit, tu as la droit d'avoir un père protecteur, qui soit présent tout au long de ta croissance. De même que l'on donne de l'eau à une plante assoiffée, tu as le droit, quand tu t'intéresses à une activité, de te voir offrir le plus grand nombre de possibilités afin que tu te développes sur le sentier que tu as choisi.
  • Tu n'es pas venu réaliser le plan personnel d'adultes t'imposant des objectifs qui ne sont pas les tiens, le principal bonheur que t'autorise la vie est de te permettre de t'atteindre toi-même.
  • Tu devrais avoir le droit de posséder un espace où pouvoir t'isoler pour construire ton monde imaginaire, de voir ce que tu veux sans que ton regard soit limité par des morales caduques, d'entendre ce que tu désires, même si ce sont des idées contraires à celles de ta famille.
  • Tu n’es venu réaliser personne d’autre que toi-même, tu n'es venu occuper la place d'aucun mort, tu mérites d’avoir un nom qui ne soit pas celui d’un parent disparu avant ta naissance : quand tu portes le nom d’un défunt, c’est parce qu’on t’a injecté un destin qui n’est pas le tien, usurpant ton essence.
  • Tu as parfaitement le droit de ne pas être comparé; aucun frère, aucune soeur ne vaut plus ou moins que toi, l’amour existe quand on reconnaît l’essentielle différence. Tu devrais avoir le droit d'être exclu de toute querelle entre tes parents, de ne pas être pris comme témoin dans les discussions, de ne pas être le réceptacle de leurs angoisses économiques, de grandir dans une ambiance de confiance et de sécurité.
  • Tu devrais avoir le droit d’être éduqué par un père et une mère guidés par des idées communes, ayant aplani entre eux, dans l’intimité, leurs contradictions. S’ils divorcent, tu devrais avoir le droit de ne pas être oblige de voir les hommes avec les yeux pleins de ressentiment d’une mère, ni les femmes avec les yeux pleins de ressentiment d'un père.
  • Tu devrais avoir le droit qu’on ne t'arrache pas du lieu où tu as tes amis, ton école, tes professeurs préférés.
  • Tu devrais avoir le droit de ne pas être critiqué si tu choisis un chemin qui n’était pas dans les plans de tes parents ; d’aimer qui tu veux sans avoir besoin d’approbation, et, quand tu t’en sens capable, d’abandonner le foyer et de partir vivre ta vie; de dépasser tes parents, d’aller plus loin qu’eux, de réaliser ce qu’ils n’ont pu réaliser, de vivre plus longtemps qu'eux.
  • Enfin, tu devrais avoir le droit de choisir le moment de ta mort sans que personne, contre ta volonté, te maintienne en vie.
A. Jodoroswky
La danse de la réalité.


De l'image de la mère qui a été chantée et célébrée dans tous les temps et dans toutes les langues.

C'est cet amour maternel qui fait partie des souvenirs les plus touchants et les plus inoubliables de l'âge adulte, et qui signifie la secrète racine de tout devenir et de tout transformation, le retour au foyer et le recueillement, le fond primordial silencieux de tout commencement et de toute fin. Intimement connue et étrange comme la nature, amoureusement tendre et cruelle comme le destin, dispensatrice voluptueuse et jamais lasse de vie, mère de douleurs, porte sombre et sans réponse qui se referme sur la mort, la mère est amour maternel, elle est mon expérience et mon secret. A quoi bon toutes nos paroles trop prolixes, trop erronées, trop pauvres, voire trop mensongères au sujet de cet être humain appelé mère, dont - pourrait-on dire - le hasard fit le porteur de cette expérience qui enferme en elle ma mère, moi, toute l'humanité, et même toute créature vivante qui devient et passe, le porteur de l'expérience de la vie dont nous sommes les enfants?
On l'a toujours fait, certes, et on le fera toujours, mais celui qui sait ne peut plus faire retomber cet énorme poids de signification, de responsabilité et de devoir, de ciel et d'enfer, sur ces êtres faibles et faillibles, dignes d'amour, d'indulgence, de compréhension et de pardon qui nous furent donnés pour mères.
Il sait que la mère est porteuse de cette image innées en nous qui est la mater natura et la mater spiritualis, la sphère de la vie tout entière, à laquelle, enfants, nous avons été confiés et, en même temps, abandonnés. Il n'a pas non plus le droit d'hésiter un instant à délivrer la mère humaine de ce fardeau effrayant, par égard pour elle et pou lui-même. Car c'est précisément ce poids de signification qui nous enchaine à la mère et qui l'enchaine à son enfant, pour la perte spirituelle et physique de l'une et de l'autre.
On ne dénoue pas un complexe maternel en réduisant unilatéralement la mère à une mesure humaine, et, pour ainsi dire en la "rectifiant". Ce faisant, on court le danger de dissoudre en atomes l'expérience "mère", de détruire ainsi une valeur suprême et de jeter au loin la clé d'or qu'une bonne fée mit dans notre berceau. C'est pourquoi l'homme a instinctivement adjoint au couple des parents le couple divin préexistant sous la forme de "godfather" et de la "godmother", de parrains du nouveau-né, afin que celui-ci ne risque pas, par inconscience ou rationalisme à courte vue, de revêtir les parents de divinité.

C.G. Jung
Les racines de la conscience.